Histoire de la Luminescence



Le XIXème siècle : trois découvertes majeures liées à la luminescence l’électron, les rayons X et la radioactivité

Le 19ème siècle est le siècle de la spécialisation.

Entre 1780 et les premières années du 20ème siècle apparaissent les journaux scientifiques spécialisés dans les différentes branches de la science et principalement la chimie et la physique. Ceux-ci contrastent avec les publications antérieures des sociétés scientifiques et des académies des sciences qui embrassaient une large variétés de sujets. Ces périodiques étaient souvent connus par le nom de leur éditeur comme par exemple les annales Lavoisier ou les annales de physique éditées par Wilhelm Gilbert.

La biologie devient également une science à part entière, séparée de la chimie ou de la physique.

Le premier livre traitant de la luminescence publié au 19ème siècle est un livre de 182 pages entièrement consacré aux organismes marins luminescents : « Uber das Leuchten des Meres » de Christophe Bernouilli publié en 1803 à Göttingen.

Au 18ème siècle la théorie corpusculaire de Newton dominait; elle était très populaire dans les milieux intéressés par la luminescence ; en effet quoi de plus facile que d’expliquer la luminescence le plus simplement du monde en supposant que le phosphore retenait les particules de lumière dans ses pores pour les laisser doucement s’échapper dans l’obscurité.
Mais au début du 19ème siècle les expériences de Thomas Young (1773-1829) et Augustin Fresnel (1788-1827) ramènent la théorie ondulatoire à l’avant plan en permettant d’expliquer la diffraction et les interférences.
La théorie corpusculaire reviendra bien sûr en force au 20ème siècle avec la découverte du concept de quanta de Max Planck et l’explication de l’effet photoélectrique d’Albert Einstein par cette même théorie des quantas.

En 1807, l’Institut National Français Classe de mathématiques et de physique offre un prix de 3000 Francs pour un concours ayant pour sujet : « Pour établir par expérimentation quelles sont les relations qui existent entre les différents modes de phosphorescence et leur cause à l’exclusion des phénomènes observés chez les animaux ».
Ce prix a été créé à l’initiative de René Just Haüy (1743-1822), professeur de minéralogie dont le fameux traité de minéralogie contient une liste de minéraux thermoluminescents.
Les mémoires des candidats devaient être déposés avant le 1er octobre 1808, de manière anonyme avec une enveloppe scellée contenant le titre et l’auteur. Cette méthode habituelle pour l’époque permettait de ne pas déshonorer ceux qui n’étaient pas retenus par le jury (dont on détruisait en les brûlant sans les ouvrir les enveloppes scellées) et surtout, d’éviter tout favoritisme basé sur la renomée de l’auteur ou le chauvinisme.
Le concours était ouvert à tous, membres ou non de l’Institut. Le prix fût adjugé lors d’un colloque, le premier lundi de janvier 1809.
C’est le français Jean-Philibert Dessaignes qui remporta le prix.

Le texte gagnant de l’essai a été publié à partir de 1809 sous forme de série dans le journal de physique sous le titre « Mémoire sur la Phosphorescence » et fût suivi d’une série d’articles complémentaires sur la luminescence en 1810 et 1812.
Il comporte cinq chapitres traitant respectivement de la classification des différentes luminescences, de la phosphorescence provoquée par une augmentation de température, par insolation, par collision et enfin de la phosphorescence spontanée (ce chapitre inclut le bois et le poisson phosphorescent dont on ne connaissait pas encore clairement l’origine biologique).
Dessaignes pensait que c’était l’eau qui était liée à la substance qui provoquait la luminescence. Le problème c'était que certaines substances luminescentes ne contenaient apparemment pas d’eau !

Le professeur Placidus (Joseph) Heinrich (1758-1825) de Ratisbon avait également participé au concours sans le gagner et publia entre 1811 et 1820 ses notes sous forme d’un recueil de 596 pages divisé et publié en cinq parties (1811, 1812, 1815 et 1820) et intitulé « Die Phosphorescenz der Körper » dans lequel il inclut également la bioluminescence.
Die Phosphorescenz der Körper C’est le premier ouvrage important du 19ème siècle où toutes les formes de luminescence sont regroupées
La première partie traite de la phosphorescence des substances artificielles ou naturelles organiques et inorganiques après exposition à la lumière, c’est à dire des phosphores.
La deuxième partie a pour sujet la phosphorescence des corps dont l’émission est stimulée par la chaleur et inclut les phosphores et les huiles chauffées.
La troisième partie est dédiée aux végétaux et aux animaux phosphorescents (c’est à dire toute la bioluminescence)
La quatrième partie parle des luminescences provoquées par des moyens mécaniques, friction et broyage et enfin, la dernière partie traite de diverses luminescences de produits chimiques.
La dernière publication de 1820 répond aussi aux critiques qui avaient été faites sur les volumes publiés précédemment.
La classification de la luminescence par Heinrich est donc assez moderne. Sa théorie l’est moins!
Si Dessaignes supposait que l’eau contenue dans les corps était responsable de la luminescence, Heinrich tente lui de prouver que toutes les substances luminescentes contiennent de l’acide qui serait la source de toute lumière. Par irradiation, chaleur ou friction, la substance était d’après lui décomposée et libérait l’acide qui était sensé contenir la « matière lumineuse » et la libérer.
Par exemple, le diamant étant phosphorescent, il devait donc contenir de l’acide carbonique !
Heinrich était moine bénédictin au Monastère Royal de St Emmeran près de Regensburg, il tenait sans doute cette idée d’acide comme source de la luminescence de Johan Gottlob Lehman (1719-1767) qui le premier avait mis au point et vigoureusement défendu cette théorie dans une thèse de 36 pages intitulée « Abhandung von phosphoris etc. » publiée à Dresde en 1750.

Trois nouveaux types de luminescence allaient encore être découverts avant la fin du 19ème siècle : la fluorescence par G.G. Stokes en 1852, la radioluminescence en 1858 par J. Plücker et la chimioluminescence des solutions organiques par B. Radziszewski en 1877.

Au début du 19ème siècle, un des facteurs les plus importants dans l’avancement de la science de la luminescence est l’extension du spectre solaire vers l’infrarouge et l’ultraviolet.
Une autre avancée viendra du perfectionnement du spectroscope qui permettra de voir les premiers spectres de luminescence. Wollaston va introduire l’utilisation d’une fente entre la source lumineuse et le prisme pour remplacer le trou d’aiguille qui était utilisé à l’époque, ce qui lui permettra en 1802 d’observer les lignes noires dans le spectre solaire, qui seront redécouvertes et étudiées plus tard (1814) par Fraunhofer dont elles portent aujourd’hui le nom.
L’observation la plus ancienne du spectre de luminescence d’une substance inorganique fût faite en 1713 par Zanotti au moyen d’un prisme. Il nota la faible lumière monochromatique des phosphores, mais la médiocrité de l’appareil utilisé ne permettait pas d’avoir une idée précise de la répartition spectrale ; Priestley en 1767 observa le spectre de l’electroluminescence des gaz à pression réduite dans un tube de verre, sans grand succès non-plus. Dessaignes en 1811 ne pût faire mieux faute d’un appareillage approprié.
En 1835, C. Wheatstone notait la présence de lignes (raies) colorées dans le spectre d’étincelle de la vapeur de mercure et de certains métaux.
Mais les premiers dessins convenables de spectre des sources d’excitation de phosphores sont ceux de A.C. Becquerel publiés dans le second volume de son traité de physique (Paris 1844).
Les premiers articles d’E. Becquerel (1843, 1848 et 1858) concernaient principalement la composition de la lumière excitatrice, mais en 1859, il publie un article illustré par la représentation du spectre d’émission de phosphorecence de 15 substances solides différentes, en parallèle avec une échelle représentant les lignes de Fraunhöfer comme référence.
La méthode utilisée consiste à couvrir un papier avec de la poudre du phosphore à étudier mélangée à de la gomme. Une fois sec, le papier était placé devant le spectre solaire produit par un prisme.
Ainsi Becquerel observe les deux bandes lumineuses séparées du sulfure de calcium, une dans le violet et une dans l’ultraviolet, alors que pour le sulfure de Baryum, il n’en discerne qu’une plus large s’étendant du violet à l’ultraviolet.
Herschel note également en 1845 que dans le spectre de la luminescence bleue du spath fluor examiné au moyen d’un prisme, le rouge, l’orange et le jaune étaient absents mais que du vert était présent.
Stokes découvre le spectre de raies des substances luminescentes contenant de l’uranium.
En 1852, il énonce sa célèbre loi .

David Alter observait également en 1855 le spectre de l’hydrogène et d’autres gaz, mais c’est surtout Julius Plücker que l’on associe à l’étude du spectre des gaz à basse pression (1859)

L'invention du mot "Fluorescence"

Début du 19ème siècle, Sir John Herschel constate un phénomène analogue à celui observé par Monardes avec une solution de sulfate de quinine utilisée pour soigner les affections rénales; cette solution est parfaitement transparente, mais si on change l'angle d'observation, une jolie coloration bleu ciel apparaît (1845).

Trois siècles plus tôt en effet, au 16ème siècle, en 1565 très exactement, un médecin italien Nicolo Monardes avait déjà observé les reflets de certaines solutions d’extraits de plantes utilisées en pharmacie (comme le Lignum Nephreticum).

Kircher en 1646 avait lui aussi décrit l’effet de changement de couleur d’une solution d’extrait de « Lignum Nephreticum » suivant la direction dans laquelle on l’observait : par le côté ou en transmission. Il fût le premier à étudier longuement le phénomène.
Une attention considérable était portée à ce phénomène à la fin du 17ème siècle, période où l’origine et la nature de la couleur était un sujet de recherche important.
Curieusement au 18ème siècle pratiquement aucune recherche n’est menée dans ce domaine.

Malgré tout, durant ce 18ème siècle, le minéralogiste Haüy avait cependant constaté une coloration particulière lorsque l'on observe latéralement certains cristaux fortement éclairés et avait attribué ce phénomène à la diffusion de la lumière.

Au début du 19ème, l’intérêt pour ce phénomène renaît particulièrement à cause de la découverte d’un certain nombre de minéraux comme la fluorine, qui possédaient cette propriété.
Herschel pense que la couleur bleue est diffusée au voisinage de la surface du liquide et nomme le phénomène "dispersion épipolique"
Son compatriote Sir David Brewster, un prédicateur écossais, envoie un rayon lumineux au travers de deux solutions de sulfate de quinine et observe que ce rayon provoque d'autant moins la dispersion dans la seconde solution qu'il a traversé une plus grande épaisseur de la première, il en conclut que le phénomène est plus interne que superficiel.
En dirigeant un rayon de lumière solaire à travers une solution de chlorophylle de couleur verte (en fait un extrait alcoolique de feuilles de laurier), il constate que le rayon est rouge dans la solution, mais sort bien vert à l’autre bout de la solution. Il nomme ce phénomène « dispersion interne » (1846).
Il constate que quand l'épaisseur du liquide traversé devient importante, le rayon devient petit à petit orange puis sort vert, découvrant ainsi sans le savoir le phénomène de réabsorption de la fluorescence dans les échantillons épais.

David Brewster et John Herschel essayèrent donc erronément d’expliquer ce phénomène par une diffusion de la lumière que l'un nommait « dispersion épipolique » et l'autre « dispersion interne ».

C'est Georges Stokes (1820 -1903), professeur de mathématiques à l'Université de Cambridge, qui démontrera qu'il ne s'agit pas d'une dispersion ni d'une diffusion mais d'un nouveau phénomène qu'il nommera "fluorescence".

Georges Gabriel Stokes (1820 -1903)

L'expérience de Stokes

Vers le milieu du 19ème siècle, Stokes reprend l’expérience que bien d'autres ont réalisé avant lui ( comme Herschel, Brewster, Goethe et bien d’autres encore).
En déplaçant dans l'obscurité un tube contenant du sulfate de quinine le long d'un spectre solaire formé au moyen d'un prisme, Stokes constate que toutes les couleurs traversent le tube sans y provoquer aucun effet mais que lorsque l'on a presque dépassé le violet, une lueur bleue claire apparaît dans la solution qui s'illumine comme par enchantement.

Citons Stokes qui s'émerveille de la beauté du phénomène:

« It was certainly a curious sight to see the tube (of quinine solution) instantaneously light up when plunged into the invisible rays ; it was litterally «Darkness visible » »

Ce qui peut se traduire à peu près par:

"C'était extraordinaire et comme irréel de voir ce tube s'illuminer instantanément quand je le plongeais dans les rayons invisibles"; c'était littéralement le noir devenu visible.
George Stokes (1852)

Ce sont ces rayons que nous appelons aujourd'hui "lumière noire" ou ultraviolet.
La lumière bleue n'est donc pas diffusée à partir de la source d’excitation, elle est générée par la solution sous l'effet du rayon excitateur. Rompant avec le paradigme de ses prédécesseur qui ne voyaient dans le phénomène de fluorescence qu’une variation de propriétés déjà connues comme la diffusion et la dispersion, Stokes déclare qu’il s’agit d’une nouvelle propriété physique en soi.

En effet, dès que le rayon "excitateur" a traversé une faible épaisseur de liquide, il n'est plus capable de produire l'effet bleuté alors que les rayons de lumière bleue eux traversent sans encombre une épaisseur quelconque de liquide.
Il en conclut que les rayons qui produisent le phénomène de "dispersion épipolique" ne sont pas de même nature que les rayons de couleur bleue produits.

C'est donc Stokes qui en 1852 après avoir parlé de « true internal dispersion » par opposition à la diffusion appelée également « fausse dispersion interne », puis de « réflexion dispersive », y voit une véritable émission de lumière et un phénomène nouveau à part entière. Stokes propose donc pour remplacer le terme de dispersion devenu inadéquat, le nom de FLUORESCENCE, en raison de la propriété que possède certains échantillons de spath fluor (la fluorite) d'émettre les mêmes rayons bleus que la solution de sulfate de quinine, comme l’opale avait donné son nom au phénomène d’opalescence.

Voici ce qu'il dit:

« I am almost inclined to coin a word and call the appearance fluorescence from fluor-spar, as the analogous term opalescence is derived from the name of a mineral »
George Stokes (1852)

Becquerel ne voulut jamais entendre parler de ce nouveau terme qui faisait selon lui double emploi avec le terme phosphorescence déjà utilisé depuis longtemps.

Paradoxalement, on sait maintenant que le phénomène qui a été à l’origine de la recherche d’un nouveau nom, la différence de couleur du liquide selon la direction d’observation n’était pas dû à une fluorescence, mais à une phosphorescence de très courte durée. Ironie du sort !

La règle de Stokes

Stokes teste de nombreuses substances et fait une constatation capitale: dans toutes ses expériences, les rayons produits par fluorescence sont toujours moins réfrangibles que ceux qui les produisent (c'est à dire moins déviés par un prisme). Il publie cette découverte dans un mémoire intitulé "Changement de réfrangibilité de la lumière paru en 1852 dans les "Philosophical Transactions". C’est la règle de Stokes, une des avancées majeures du 19ème siècle.

Ainsi d’après cette règle , on peut provoquer une fluorescence jaune avec de la lumière bleue, mais jamais l'inverse.
Nous verrons que parfois cette règle peut être transgressée (fluorescence non-stokienne ou anti-stokes ou absorption multi-photons)

E. Lommel (1837-1899) fit également beaucoup de recherche sur la luminescence entre 1862 et 1895. On donne parfois son nom à une loi (1875) corollaire à celles de Stokes qui dit que : un corps émet de la fluorescence grâce aux rayons qu’il absorbe.

L'interprétation de Stokes du phénomène de fluorescence est basée sur un éther élastique qui vibre comme une conséquence des molécules lumineuses. 

En 1854, Stokes proposera aussi une explication théorique des raies de Fraunhofer dans le spectre solaire. Il suggére qu'elles sont dues à la présence d'atomes dans les couches extérieures du Soleil qui absorbent certaines longueurs d'onde. Toutefois, lorsque Kirchhoff publira plus tard cette explication Stokes ne revendiquera aucune antériorité.

Stokes est donc une figure incontournable de l'histoire de la luminescence. Cependant sa contribution la plus importante à la science se fera en mécanique des fluides lorsque, en 1845, il décrit le mouvement des fluides visqueux. Ces équations sont connues aujourd'hui comme les équations de Navier-Stokes, et sont considérées comme des équations fondamentales. Stokes a découvert ces équations indépendamment vingt ans après Claude Navier dont il ne connaissait pas les travaux,de plus, il a utilisé un flux continu, là où Navier utilisait un flux moléculaire, de sorte que le crédit pour cette découverte est officiellement partagé. Dans un deuxième document, publié en 1850, il utilise ces équations pour résoudre plusieurs problèmes non triviaux concernant les oscillations d'un globe et d'un cylindre dans des fluides et le mouvement d'un fluide visqueux autour de ces formes géométriques. Ces solutions ont des applications immédiates à l'étude des vagues de l'océan et de l'électrolyse. Il y énonce également une autre loi décrivant la vitesse terminale de chute d'objets à travers les liquides.
Stokes est décrit par ses contemporains comme un homme modeste 
, travaillant dur, appliqué et religieux. Le travail administratif lié à ses fonctions et l'enseignement ont ralenti sa productivité, mais il a poursuivi ces activités par sens du devoir.

Livres marquant du 19ème siècle traitant de la luminescence

Un des traités de chimie les plus connus du 19ème siècle qui fait une place importante à la luminescence est celui de Léopold Gménil (1788-1853) de l’université de Heidelberg. La famille Gmélin est depuis le début du 18ème siècle une famille de scientifiques renommés dans les domaines de la médecine, la pharmacie et la chimie. Son traité intitulé Handbuch der Theoretorische Chemie est publié en 1817-1819 et sera réédité trois fois ainsi que traduit en anglais.
Encore aujourd’hui, le Gmelin-Krant Handbuch der Anorganische Chemie est un livre de référence standard.

Un ouvrage remarquable intitulé « Cours de physique » par J.E. Jamin édité en trois volumes en 1858-1866 a été utilisé très longtemps à l’école Polytechnique de Paris. La 3ème édition en 4 volumes datée de 1878-1883 avec EML Bouty comme co-auteur consacre 30 pages à la luminescence, illustrées de nombreux graphiques et figures ; elle aborde de manière pertinente les spectres d’émission, le changement de la couleur de phosphorescence avec la température ou les impuretés et la durée de la phosphorescence.

Edmond Becquerel (1820-1891) fût un réel leader de la physique de la luminescence et apporta un nombre incalculable de contributions à la connaissance de la phosphorescence et de la fluorescence. Il fabrique aussi le premier phosphoroscope. Son père Antoine César Becquerel (1788-1878) travaille aussi sur la phosphorescence. Son fils Henri (1852-1908) découvre la radioactivité et étudie les phosphores et l’infra-rouge.
Dans le quatrième volume du « Traité expérimental de l’électricité et du magnétisme » d’A.C. Becquerel, 64 pages sont consacrées à la luminescence sous le titre « De la phosphorescence ». On retrouve à peu près le même contenu dans son « traité de physique considérée dans ses rapports avec la chimie et les sciences naturelles (1842-1844).
A.C. Becquerel explique la luminescence des matières inorganiques par un déséquilibre des particules des corps par rapport à leur position normale, quelle qu’en soit la cause. Dans ces conditions, l’équilibre est perturbé et son rétablissement provoque l’émission de la lumière, à condition que cette phase prenne un certain temps. Si le rétablissement est trop rapide, aucune lumière n’apparaît, ce qui est le cas des métaux, bons conducteurs mais jamais luminescents.
On est en fait pas très loin de la notion moderne d’absorption d’énergie par les électrons et d’état excité !
Edmond Becquerel publie de nombreux articles et deux livres sur la luminescence : « Recherche sur divers effets lumineux qui résultent de l’action de la lumière sur les corps (Paris, 1859) et l’ouvrage monumental : « La lumière, ses causes et ses effets » (Paris 1867) en deux volumes.
Le premier volume comporte 426 pages et traite uniquement de l’émission de lumière avec quatre illustrations couleur représentant le spectre du soleil, de différentes flammes, de phosphorescence et de fluorescence; le second volume traite de l’action photochimique.
Contrairement à son père, Edmond Becquerel ne présente aucune explication théorique de l’émission lumineuse. Il se contente de présenter des données quantitatives.
Ce livre publié en 1867 marque la fin d’une époque dans l’étude de la phosphorescence.
Le travail de Stokes sur la fluorescence en 1852, celui de Julius Plücker sur l’électroluminescence (1858) allaient en effet mener au rapide développement de la recherche dans ces domaines.
Crookes en Angleterre, P.E. Lecoq de Boisbaudran (1858-1912) en France, Eugène Lommel (1837-1899), Eilhardt Wiedemann (1852-1928) et Philipp Lenard (1862-1947) en Allemagne, travaillent sur le sujet.
Aux USA, ce sont entre autres Joseph Henry (1799-1878) et John William Draper (1811-1882).

Il est surprenant de constater qu’après la publication du traité d’Edmond Becquerel en 1867 aucun autre livre majeur sur la phosphorescence ou la fluorescence ne sera plus publié avant le début du 20ème siècle même s’il faut tempérer cette remarque par la publication de très long articles (plusieurs dizaines de pages) consacrés à ce sujet dans les revues spécialisées.

En 1862 T.L. Phipson publie un livre destiné au grand public intitulé « Phosphorescence »

L'invention du mot Luminescence

La famille Wiedemann est l’équivalent en Allemagne de la famille Becquerel en France. Le père d’Eilhardt, Gustav Heinrich Wiedemann (1826-1899) publie quelques articles sur la luminescence ; il était aussi l’éditeur des Annalen der Physik und Chemie de 1877 à 1899.
Les premiers travaux d’Eilhardt sont consacrés à la polarisation et à la réfraction de la lumière, ensuite à la chaleur spécifique des gaz et à leur spectre d’électroluminescence pour finir par s’intéresser à la phosphorescence à laquelle il consacre la plus grande part de son temps.
Wiedemann était également spécialisé dans la connaissance de la science arabe sur laquelle il publia plusieurs articles et un petit livre intitulé « Die Naturwissenschaften bei den Araben » (Hambourg 1890, 32 pages)

En 1888 Eilhardt Wiedemann réunit les notions de phosphorescence et de fluorescence sous le terme général de luminescence. Il propose d'utiliser ce terme pour caractériser l'émission de lumière "froide" d'une substance, c'est à dire l'émission d'une lumière sans qu'il y aie chauffage (incandescence), un préfixe pouvant être utilisé pour préciser le mode de production (électroluminescence, thermoluminescence...).

Il classifie dès lors la luminescence en 6 catégories dont le préfixe décrit la méthode d’excitation:

Cette classification reste toujours valable aujourd’hui et a le mérite d’être simple à comprendre et explicite.

La dynastie Becquerel

Trois générations de Becquerel se sont succédées en France dans l’étude intensive et détaillée de la phosphorescence:
• Antoine Becquerel (1788-1870)
• Edmond Becquerel (1820-1891)
• (Anthoine-) Henri Becquerel (1852-1908) qui découvrit également la radioactivité.

Antoine et son fils Edmond exposent différentes matières fluorescentes sous différentes longueur d’onde et mesurent les spectres émis à différentes températures. C’est également eux qui décrivent le premier activateur reconu, le manganèse dans la calcite.
En 1879, ils mettent au point le phosphoroscope pour mesurer la durée de la phosphorescence, en effet, lorsque la durée de la phosphorescence est très courte, un dispositif mécanique devient nécessaire pour la détecter. L'instrument le plus ancien et le plus connu à cet effet est le phosphoroscope de Becquerel.  Par le biais de cet appareil, on peut mesurer avec une précision considérable la durée du phénomène. 

C’est en travaillant sur l’enregistrement sur des plaques photographiques de la fluorescence des sels d’uranium qu’Henri Becquerel rentre dans l’histoire avec un grand H en découvrant la radioactivité
En 1868, Henri (16 ans ? ? ? ?)Becquerel publie un livre intitulé "la lumière" dans lequel il étudie le phénomène de "résonance optique" et les lois fondamentales du déclin de la phosphorescence pour les cas simples ainsi que la fluorescence des sels d'uranyle

Henri Becquerel (Paris 1852- Le Croisic 1908)

Henri Becquerel était professeur de physique au Muséum national d'histoire naturelle à Paris et à l'École polytechnique. C'était un spécialiste des phénomènes de polarisation rotatoire et - tout comme son père Edmond Becquerel avant lui - des processus de luminescence (fluorescence et phosphorescence).

Le 20 Janvier 1896, l'Académie des Sciences découvre les radiographies des mains obtenues par Röntgen. Ces photos sont présentées par deux médecins, Paul Oudin et Toussaint Barthélémy. Henri Poincaré a reçu un exemplaire de l'article de Röntgen. La séance est animée. Poincaré, le plus grand mathématicien de l'époque, est passionné de physique; ces résultats piquent sa curiosité. Il y a là Henri Becquerel, qui, fasciné comme Poincaré, s'interroge avec lui sur la provenance de ces rayons. D'après ce que dit Röntgen, répond Poincaré, les rayons X sont émis à l'extrémité opposée à la cathode, là où les rayons cathodiques provoquent une vive fluorescence du verre.

Tant Becquerel que Poincaré se demandent s'il n'y a pas un lien entre les rayons X et la fluorescence. Cette hypothèse va déclencher le travail de Becquerel: se peut-il que les rayons de Röntgen accompagnent d'autres phénomènes de luminescence, ou de fluorescence?

Becquerel tente, dès le lendemain, de vérifier si les substances fluorescentes émettent aussi des rayons X quelle que soit la cause de leur fluorescence . Il est mieux placé que quiconque pour mener à bien cette analyse. Par tradition familiale, il est un expert en matière de phénomènes de luminescence, la phosphorescence l'a toujours émerveillé, comme elle a émerveillé son père et son grand-père, et il maîtrise parfaitement les techniques photographiques .

Les premiers essais sont des échecs, jusqu'à ce qu'au bout de quelques jours il pense à utiliser des sels d'uranium. Pourquoi de l'uranium? Chance, diront certains, intuition géniale répliqueront d'autres, la longue tradition familiale des Becquerel depuis le début du siècle y est certainement pour beaucoup: il possède une quantité notable de ces composés d'uranium (sulfate double d’uranyle et de potassium), qui ne sont jusque là que des curiosités, sans grande application scientifique . "Les résultats de Röntgen ne justifiaient pas vraiment cette idée, dira plus tard Becquerel, mais les sels d'Urane possédaient des propriétés de luminescence très extraordinaires, et il était véritablement tentant de procéder à cette investigation."
L'histoire de la découverte est très rapide. Becquerel sait que pour qu'un corps devienne luminescent, on doit préalablement l'exposer à la lumière. Mais il ne faut pas que cette lumière impressionne directement la plaque photo qui doit détecter les rayons X. Il enveloppe, par conséquent, des plaques photo dans du carton noir et des feuilles d'aluminium, recouvre l'ensemble de lamelles cristallines de sels d'uranium, et expose le tout au soleil sur le bord de sa fenêtre. Le 24 février 1896, Henri Becquerel communique à l'Académie que les plaques photographiques fortement protégée de la lumière du soleil ont été impressionnées par un rayonnement invisible pénétrant . Tout semble confirmer son hypothèse de travail: l'uranium émet des rayons X pendant sa fluorescence. Certes, les taches observées sur les plaques photo sont bien ténues, beaucoup moins spectaculaires que les images de Röntgen. Mais elles sont bel et bien présentes. Si l'on interpose divers objets métalliques entre le sel d'uranium et la plaque, on voit leur silhouette se dessiner sur les clichés. Les rayons invisibles sont plus ou moins atténués par les matériaux.

Mais, une semaine plus tard, Becquerel en sait bien davantage. Il veut, en effet, répéter son expérience le 26 et le 27 février. Hélas! Paris est recouvert de nuages. Becquerel abandonne ses échantillons dans un tiroir, remettant son expérience à plus tard. Avant de reprendre ses travaux, le dimanche 1er mars, il développe "par acquit de conscience" ses plaques photo, dont tout laisse à penser qu'elles seront vierges puisque, à l'abri du soleil, la fluorescence des sels d'uranium qui les recouvrent n'a pas pu être excitée. Il découvre qu'elles sont, au contraire, fortement impressionnées et se rend compte immédiatement qu'il est face à un phénomène nouveau. Comme il l'établira rapidement, l'impression de ses plaques est totalement indépendante de l'intensité de la fluorescence de l'uranium, donc de l'excitation lumineuse extérieure. Le sel d'uranium émet des rayons pénétrants qu'il ait ou non été exposé à la lumière solaire
La conclusion de sa communication à l'Académie, le lundi 2 mars, est un coup de théâtre pour ses collègues. Becquerel y laisse percer sa propre stupéfaction. " J'insisterai particulièrement sur le fait suivant, qui me paraît tout à fait important et en dehors des phénomènes que l'on pouvait s'attendre à observer: Les mêmes lames cristallines, placées en regard de plaques photographiques, dans les mêmes conditions et au travers des mêmes écrans, mais à l'abri de l'excitation de radiations incidentes et maintenues à l'obscurité produisent encore les mêmes impressions photographiques. (...) Le soleil ne s'étant pas montré, j'ai développé les plaques photographiques le 1er mars en m'attendant à trouver des images très faibles. Les silhouettes apparurent, au contraire, avec une grande intensité. (...) Une hypothèse qui se présente assez naturellement à l'esprit serait de supposer que ces radiations (...) seraient des radiations invisibles (...) dont la durée de persistance serait infiniment plus grande que la durée de persistance des radiations lumineuses émises par ces corps. Les expériences que je poursuis en ce moment, pourront, je l'espère, apporter quelques éclaircissements sur ce nouvel ordre de phénomènes."

Il démontra que les radiations émises partageaient certaines caractéristiques des rayons X, mais contrairement à ceux-ci, elles pouvaient être détournées par un champ magnétique, elles possédaient donc une charge.

Becquerel prouva ensuite que son expérience démontrait une propriété subatomique. Cette trouvaille lui fit découvrir que l'air est constitué d'atomes de matière gazeuse, l'échantillon détachait des électrons : Becquerel ionisa l'air (chargé +, -). À l'aide de l'électroscope, il mit en évidence ces radiations. L'appareil démontrait la présence de charges électriques. L'air ionisé devint conducteur et l'électroscope se déchargea. Becquerel aura inventé le premier instrument permettant de déceler des radiations nucléaires. Il n'arrivera pas cependant à expliquer la provenance des radiations découvertes. On leur donnera le nom de rayons Becquerel.
Pendant ce temps, Pierre et Marie Curie découvrirent le polonium. Becquerel étudia ce nouvel élément. En analysant les radiations du polonium, il découvrit un nouveau rayonnement différent de ses premières observations. Il donna à ce rayonnement le nom de radiations bêta et démontra qu'il était composé d'électrons provenant des atomes de polonium.

Un "nouvel ordre de phénomènes" en effet. Becquerel prendra progressivement conscience de la signification profonde de sa découverte: un phénomène majeur de la nature! La suite des événements va le révéler.

Et les autres…

L’absence de source artificielle limitait à l’époque l’observation à l’usage de la lumière solaire dispersée par un prisme ou filtrée au moyen de verre coloré. Les expériences se limitaient donc aux effets des ultraviolets de grande longueur d’onde et de faible intensité puisque l’ozone présent dans la haute atmosphère bloque le passage des radiations de moins de 300 nm. A la fin du 19ème siècle, les progrès de l'électricité et des techniques du vide permettent de fabriquer des sources artificielles pour l'excitation de la fluorescence et à se passer de la lumière naturelle.
Le tube mis au point par William Crookes (1875) en est un bon exemple. Les spectres émis par les substances soumises à ces nouveaux rayons (les rayons cathodiques) étaient tellement caractéristiques que certains éléments rares ont été ainsi identifiés par Crookes et Lecoq de Boisbaudran.( le gallium (en 1875 en analysant de la blende provenant de Pierrefitte dans les Pyrénées, le samarium en 1879) et le dysprosium en 1886).
Crookes invente également le spinthariscope en 1903

En 1866, Sidot prépare le premier phosphore stable commercialement utilisable à base de sulfure de zinc émettant une lumière verte. Les phosphores à base de sulfure de zinc sont toujours utilisés de nos jours et restent un des groupes de phosphores les plus importants dans la technologie moderne. En 1870, un autre phosphore apparaît sur le marché, la peinture de Balmain, à base de sulfure de calcium.

A cette époque, on commence à comprendre le mécanisme de la luminescence de ce type de matériau. Verneuil démontre que le CaS pur n’est pas luminescent et qu’une trace de Bi était nécessaire pour qu’il y ait émission (1866) . Il fait également le lien entre la luminescence verte du ZnS et des traces d’impuretés de cuivre. Il étudie également l’effet du manganèse et de l’argent.
Lecoq de Boisbaudran et Wiedemann étudient également la luminescence des matériaux inorganiques et montrent qu'une trace de métal étranger est parfois nécessaire à la phosphorescence.
A la fin du 19ème siècle et au début du 20 ème, Klatt et Philipp Anton Lenard (Wied. Ann., 1889, xxxviii. 90), physiciens allemands, et Becquerel en France travaillent sur l'activation des phosphores à base de métaux alcalins.
Ils établissent que ce sont les impuretés métalliques (Cu, Bi, Mn...) introduites sous forme d’ions dans la structure cristalline des phosphores qui sont à l'origine de la luminescence. Ils constatent les variations de la luminescence avec la proportion d'impuretés. La notion d’activateur est née.

Klatt et Lenard démontrent également que les sulfures alcalins perdent leur propriétés de phosphorescence quand ils sont soumis à très une haute pression.

La chemiluminescence et la cathodoluminescence

La luminescence du phosphore est souvent considérée comme le premier exemple de chemiluminescence bien que tout organisme vivant émettant de la lumière la produise par un processus de chimioluminescence interne ou via un liquide secrété à l’extérieur.
En 1850, W. Petrie rapporte la luminescence d’une surface fraîchement coupée de potassium métallique dans l’air, probablement dûe à un processus analogue à celui du phosphore, bien que cette luminescence aie été peu étudiée.

Mais le 19ème siècle est surtout le siècle de la découverte de la première réaction chimique organique en milieu liquide émettant une lumière semblable à celle des organismes vivants.
C’est à Bronislaus Radziszewski (1838- ) professeur de chimie à Lemberg (Galicia) que l’on doit cette découverte.
Il s’agissait de composés contenant la chaîne triphénylglyoxaline, comme l’amarine et la lophine qui, dissouts dans l’alcool puis mélangés et secoués avec de l’air en solution alkaline, s’oxydent en émettant de la lumière.
Cette découverte fût publiée en 1877, près de 200 ans après la découverte du phosphore.
Radziszewski a lui-même compris l’importance de cette découverte pour l’explication de la bioluminescence.

La cathodoluminescence est découverte en 1858 par Plücker et E. Becquerel et l'anodoluminescence est découverte en 1886 par E.Goldstein (1850-1931)

En 1895 Roentgen découvre les rayons X en remarquant la fluorescence anormale d'un écran de platinocyanure de baryum soumis au rayonnement d'un tube de Crookes.

Conclusion sur le 19ème siècle :

On peut résumer les découvertes et les avancées faites au 19ème siècle comme suit :

• De nouveaux phosphores apparaissent (Sidot, Balmain)
• Reconnaissance de la fluorescence comme une nouvelle propriété physique en soi, une véritable émission de lumière
• Découverte de la radioluminescence
• Découverte de la chimioluminescence de nombreux composés organiques en solution
• Invention du phosphoroscope
• Mesure précise de la distribution spectrale de l’émission de luminescence
• Clarification de la relation entre la lumière excitatrice et la lumière émise
• Engrangement de nombreuses informations précises sur l’effet de la température, de la pression et de la présence d’impuretés
• Développement de la théorie de la luminescence basé sur un changement de niveau d’énergie et de principe thermodynamiques bien établis
• Découverte du quenching (poisons)

Il manque cependant toujours quelque chose d'essentiel pour le développement de la fluorescence: une source artificielle intense d'ultraviolet...